Interview de Myriam Saduis, metteur en scène à Bruxelles
Nous sommes une semaine après les représentations du Module 2 des élèves de troisième année de la formation d'acteur au Cours Florent à Bruxelles, et à quelques jours du début du travail pour le Module 3. Myriam Saduis, metteure en scène du Module 2, Mephisto, nous a accordé un entretien, avant son départ pour le Théâtre de Namur où est repris son spectacle Amor Mundi, créé en 2015.
- Myriam, peux-tu te présenter ? Peux-tu nous parler de ton parcours artistique ici en Belgique ?
Je suis de nationalité française, et je vis à Bruxelles depuis de nombreuses années. J’ai participé à des stages avec Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil ; ça a été une expérience de théâtre décisive ! J’ai intégré l’INSAS à Bruxelles, et j’ai travaillé en tant qu’actrice pendant plusieurs années, pour finalement me tourner vers la mise en scène.
Parallèlement, j’ai travaillé quinze ans en milieu psychiatrique où j’ai mené des ateliers de théâtre avec des personnes en difficulté. Je suis formée aussi à la clinique psychanalytique.
En 2000, j’ai fondé ma compagnie et j’ai réalisé une première petite forme, Enorme Changement de dernière minute d'après des nouvelles de l'auteur américaine Grace Paley. En 2004, Ingmar Bergman m’a accordé les droits pour Une affaire d’âme. C’était la première création théâtrale de ce récit ! La création s’est déroulée au Théâtre Océan Nord en 2008, et l’année suivante elle a reçu le prix Découverte de l’année aux Prix belges de la critique !
En janvier 2012, j’ai adapté et mis en scène La nostalgie de l'avenir d'après La Mouette d'Anton Tchekhov, au Théâtre Océan Nord à nouveau. Le spectacle a été sélectionné au Théâtre des Doms – qui est une scène belge francophone du Festival d'Avignon 2012. Il a longuement tourné en France et en Belgique en 2013 et 2014. Le spectacle a été primé deux fois aux Prix belges de la critique 2012 : Prix de l'espoir féminin pour Aline Mahaux, une des comédiennes et Prix de la mise en scène.
Le spectacle Protocole de relance, écrit d'après Si ce n'est plus un homme de Nicole Malinconi, et créé au Théâtre Poème 2 à Bruxelles a été nominé au Prix de la critique en 2013 avec le Prix Meilleure scénographie pour Anne Buguet.
En 2016, ma création Amor Mundi d'après Hannah Arendt au Théâtre95 de Cergy-Pontoise en coproduction avec le Théâtre Océan Nord à Bruxelles a été nominé deux fois aux Prix de la Critique belge 2016 : pour la mise en scène et pour la meilleure interprétation féminine pour Mathilde Lefèvre. Le spectacle est cette année en tournée en Belgique, à Namur, Bruxelles, Tournai… Reprise en 2017-2018 à Namur, Tournai, Bruxelles.
Je prépare un nouveau projet prévu pour novembre 2018 avec le Théâtre Océan Nord à Bruxelles : Final Cut, un projet autour de mon histoire familiale et la colonisation.
- Cette année 2018, c’est la 3ème saison que tu mets en scène le Module 2 des élèves de troisième année au Cours Florent à Bruxelles. Quels sont les enjeux de ce Module ? De quelle manière développes-tu tes projets chaque année ?
Le théâtre est un art collectif. Mon premier but est donc de susciter un engagement de tous pour tous, avec chaque groupe d'élèves. C'est pourquoi tout le monde essaie tous les rôles. Je ne fais la distribution que tardivement, lorsque je sens que le collectif se mobilise. Il est fondamental d'avoir à l'esprit que jouer c'est aussi porter un récit commun, pas simplement jouer sa petite scène. Cela vise aussi à lutter contre la vieille notion d'emploi, cela incite chacun à essayer des rôles qui ne dépendent ni de l'âge, ni du physique, mais uniquement du désir de les jouer.
Il y a une phrase de Stanislavski que je leur répète sans cesse lors de cette phase: ne cherche pas en toi même, tu n'y trouveras rien, c'est dans l'Autre que tu dois chercher, autrement dit, le théâtre est un acte, et c'est à partir de l'autre qu'il faut agir, en s'appuyant sur lui ; ainsi se crée une trame d'actions-réactions ! Tout part de la relation, c'est la clé d'un jeu vivant, le texte n'est que la pointe de l'iceberg, en dessous de chaque mot se joue une sorte de symphonie relationnelle... C'est elle que le spectateur perçoit en premier lieu. C'est uniquement à partir de la relation qu'on entend le texte.
- Cette année, les élèves de troisième année ont travaillé avec toi sur Mephisto de Klaus Mann. Pourquoi avoir choisi cette œuvre ?
J'ai choisi cette œuvre pour de multiples raisons : d'abord le mélange de théâtre dit naturaliste et du cabaret. Cela permettait d'approcher au moins deux codes de jeu. Ensuite, la pièce tiré d'un roman de Klaus Mann - adaptée par Ariane Mnouchkine pour la troupe du Soleil - est magnifique et contient de multiples rôles (vu l'ampleur du groupe, c'était nécessaire). Il y avait aussi mon désir de mettre en jeu dans une école des questions politiques que soulève la pièce. L'action se passe sur 10 ans entre 1923 et 1933, en Allemagne, au sein d'une troupe de théâtre. Que devient l'art quand l'Histoire se joue sur la scène du monde en permanence ? Que peut/doit faire un artiste lorsque travailler peut devenir compromission... Le texte de Klaus Mann est une réflexion profonde sur ces questions, qu'il a lui-même vécu, dans sa chair. La période actuelle est lourde de ces questionnements. Même si sous d'autres formes qu'en 1933, l'urgence n'en est pas moins la même. L'art n'est jamais détaché des convulsions du monde.
- Quelles ont été les étapes de travail ? Comment se sont impliqués les élèves ?
La première comme je le disais est de créer un collectif. J'ai vraiment perçu une différence au cours du processus, au début, il y avait des petits groupes unis par des affinités, des amitiés, ce qui est normal... A la fin, il y avait toute une troupe unie par un récit. Tout le groupe s'est emparé de ces questions, par leur travail sur le plateau mais aussi par des lectures, des visionnements de films, des discussions entre nous... Cela me semble aussi essentiel de susciter une réflexion chez de jeunes gens en formation. Ils vont faire face à des questions éthiques, pas seulement esthétiques, dans le monde professionnel. C'est notre responsabilité de les amener à réfléchir là-dessus, qu'ils puissent se positionner.
- Dans ce groupe, dans cette promotion, il y avait beaucoup d’élèves. Comment dirige-t-on un grand nombre de comédien.ne.s ?
Le travail était choral sur toutes les scènes. Chacun devait s'engager pour l'autre. J’ai privilégié le récit collectif, tout en donnant à chacun, autant que faire se peut, un accompagnement particulier. Dans chaque groupe, il y a des personnalités motrices, mais chaque personne possède une singularité, le défi était de porter les deux en même temps. La raréfaction des crédits dans la culture ne permet quasi plus de grandes distributions, c'est donc émouvant aussi de voir 30 personnes sur scène.
- Quel bilan fais-tu de ce Module ?
Je suis très fière du travail accompli, comme avec chaque groupe depuis 3 ans. Je me perçois comme une metteure en scène - pédagogue. J'agis en metteure en scène, j'ai la même exigence qu'avec des acteurs professionnels, la différence est que je passe du temps à expliquer les processus de jeu, le pourquoi de certains ratages ou réussites, c'est l'aspect pédagogique. Néanmoins, ce sont des élèves de troisième année, à quelques mois de leur sortie. Il est légitime d'exiger d'eux engagement et précision. Je ne rabats rien de mon exigence pour le résultat final. J'ai mes obsessions de metteure en scène et elles ne s'arrêtent pas à la porte de l'école. Je peux passer deux heures sur une séquence juste pour une question de rythme. Tout le monde travaille dans ces moment-là, ceux qui regardent et ceux qui sont sur le plateau. L'art exige d'être en éveil ! Moi aussi, cela me tient en éveil ! J'apprends beaucoup à chaque fois. Je ne suis pas seulement celle qui partage un savoir, j'apprends et je reçois beaucoup. C'est toujours un bouleversement pour moi de voir un acteur, une actrice qui engage sa vérité, son âme en quelque sorte. Je fais du théâtre pour des instants comme ceux-là. Il y a eu certains moments dans notre travail qui recelaient cette qualité, ce sont des instants qui nous nourrissent tous et vont donc bien au-delà d'être bien dans la scène...
- Quels sont tes projets en dehors de l’école ? Comment concilies-tu les deux pendant ces trois mois ?
Cette année, je préparais en même temps la reprise d'Amor mundi/Hannah Arendt, qui se joue dans un mois ! Je commence mes répétitions trois jours après la fin du module... Les questions de Klaus Mann et d'Arendt sont assez proches, je reste donc dans un univers commun.
Je le disais, je prépare une nouvelle création pour novembre 2018 : Final Cut 1. La question du croisement entre grande Histoire et destin singulier est donc mis en œuvre en permanence... J'essaie de créer des liens dans les différentes sphères de mon travail.
Je conclus avec un dernier merci à ce groupe de troisième année qui s'est investi avec force, et à toute l'équipe de l'école, car si nous sommes arrivés à bon port pour les présentations, c'est par l'œuvre de tous.
Un immense merci à Myriam Saduis et à son investissement !
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